Histoires de la nuit, Laurent Mauvignier

Histoires de la nuit, une histoire de crises

Crise sociale, familiale, crise de la quarantaine. On pourrait croire que le mot est galvaudé, à moins que les crises dans notre monde post-moderne soient tout simplement nombreuses. En tous cas, c’est face à ce phénomène que se trouve la modeste famille Bergogne, conséquence d’une autre crise, de folie cette fois. Et en effet, Histoires de la nuit, c’est aussi la folie de trois frères, dont un présente effectivement de véritables troubles psychologiques. Quant aux autres, ne seraient-ils pas le produit d’une société malade et violente ? Histoires de la nuit est une fiction, qui a tout de notre réalité.

À quarante ans

Histoires de la nuit … pour le moment il fait encore jour. Pas d’histoires à faire peur, nous sommes plongés dans une réalité des plus banales. On prépare l’anniversaire de Marion. Quarante ans, ça se fête. Ce sont ces fameuses années dites de crise, où on fait le bilan. Marion aura quarante ans. Que se dit-elle lorsqu’elle fume sa cigarette à la porte comme pour éviter de parler avec son mari ? Ce n’est pas la passion qui l’unit à lui, c’est certain, mais sûrement le confort ; celui d’une vie tranquille, un peu trop ? Mais dont elle réussit à s’échapper, une fois par semaine, en rejoignant ses amies. Elle avale quelques coupes de champagne et peut-être s’amuse à séduire ici et là. Mais rien ne pouvant nuire à la vie bien réglée, qu’aucune crise de la quarantaine ne semble venir perturber.

Quand le passé ressurgit

Et pourtant, ce roman est bien celui d’une crise, terrifiante. Et la cause en est bien ces quarante ans. C’est une crise qui n’a rien d’existentielle mais qui émerge tout droit du passé. Ce n’est pas Marion qui le fait ressurgir, sûrement pas ; il suffit de voir le mal qu’elle s’est donnée pour tout laisser derrière elle, pour cacher, pour oublier.

Comme un fait divers

L’histoire d’un réel possible

Histoires de la nuit, ce ne sont pas des contes à faire peur qu’on raconte aux enfants, pour s’amuser, parce qu’on sait que c’est de la fiction. C’est une histoire qui pourrait être vraie, qu’on pourrait lire dans la presse. Sur la page du journal, s’étale la terreur qu’ont dû vivre les protagonistes du fait divers. Du moins on l’imagine. C’est arrivé, là, pas très loin de chez nous, ça aurait pu être nous.

Une histoire qu’on a tous essayé d’imaginer

C’est cette terreur qu’on s’est tous surpris à essayer d’imaginer lorsqu’on apprend, le souffle coupé, la nouvelle d’un attentat terroriste, par exemple. Il semble que c’est à cet exercice que s’est livré Laurent Mauvignier. La comparaison ne paraît pas aberrante parce que ce qui est montré comme terrifiant, dans les témoignages tout comme dans le roman, c’est l’attente de l’ultime violence. Qu’elles ont été les longues heures passées en face de la mort ? Des heures d’attente, immobiles, des heures de stupéfaction.

Le fait divers : la réalité comme source d’inspiration

Déjà Beauvoir, Sartre aimaient particulièrement se livrer à la lecture de faits divers. Parce que le fait divers, c’est le drame de l’individu, qu’on aimerait comprendre. C’est une confrontation à la situation. Il ne peut rester sous silence parce qu’il dit quelque chose du monde. On songe à Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès où le héros n’est alors pas celui qui sortira vivant de la tragédie dont il a été victime. Le héros est le tueur, sublimé dans ses actes d’extrême violence. Cette esthétisation de Roberto Zucco construit le mythe de la violence, de ce train qui déraille, dans une société qui déraille.

Ainsi, la réalité peut donner naissance à la fiction, à la théâtralisation mais aussi à la vie, racontée. Pensons au récit de Philippe Lançon, survivant de l’attentat de Charlie-hebdo. Pensons à toutes ces violences racontées, intimes et politiques de Mathieu Riboulet. La liste pourrait devenir longue…

La construction de la fiction

Un point de départ réaliste

Mais Laurent Mauvignier se livre à sa manière à cet exercice. Pas de sublimation. De simples réalités quotidiennes. On prépare les quarante ans de la voisine, la maman d’Ida, l’épouse fuyante de Patrice. L’histoire se passe dans au hameau, là où tranquillité et routine règnent, là où Patrice s’épuise doucement à s’occuper de sa ferme et de sa famille.

Les Trois Filles Seules, des personnages féminins et leur mystère

Le hameau s’appelle « Les Trois Filles Seules ». Les trois filles que nous y trouvons sont d’abord Christine, une soixantenaire, seule, artiste peintre, qui est venue s’isoler ici depuis de nombreuses années. Toutefois, elle s’occupe d’Ida comme de sa petite-fille, un semblant de famille, bien qu’elle ne réussisse pas à dépasser la méfiance qu’elle éprouve envers Marion. Puis, nous rencontrons Marion ; elle souffre peut-être d’une solitude mentale, mariée à Patrice qu’elle ne désire pas vraiment, fermée dans une vie de campagne qu’elle n’aime pas non non plus. Comme si elle n’avait pas choisi. Et puis Ida ? N’est-elle pas, par contre, bien entourée, de parents aimants et d’une Tatie chez qui elle se réfugie tous les soirs ? Mais sans doute sa solitude à venir est en train de se construire. La connaîtra-telle plus tard, quand elle en saura davantage du Qui sommes-nous ? Qui ne sommes-nous pas ?

La construction de l’intrigue

Et qui sont-ils, eux ? Ceux qui menacent, envoient des lettres anonymes ? Qui est cette Marion qui manque d’honnêteté envers son mari ? D’où viennent ces hommes bien décidés à détruire des vies ?

Quand la fiction approfondit la réalité

C’est une épaisseur de personnage qu’offre Laurent Mauvignier à des êtres de papier journal, dont on ne connaît habituellement que des faits : âge, origine, situation. Comme si l’écriture informative passait à côté de l’essentiel, ce qu’est l’humain. Alors la littérature s’en mêle.

Le roman est aussi une étude détaillée de la violence, la violence latente, d’avant la crise, dont on ne comprend pas encore l’ampleur, prête à éclater à tout moment. C’est une étude de la terreur.

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